3 avril 2010

Exercice - L'"Unnaming", par Phyllis Curott

"Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin, s’est encore accentuée sous l’influence du langage. Car les mots (à l’exception des noms propres) désignent des genres. Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous, et en masquerait la forme à nos yeux si cette forme ne se dissimulait déjà derrière les besoins qui ont créé le mot lui-même."

Le Rire - Henri Bergson

Le langage limite notre perception du monde, mais aussi la perception que nous avons de nous-même, de nos propres expériences. Phyllis Curott propose un exercice à la fois facile à mettre en pratique et enrichissant pour dépasser les frontières de notre perception quotidienne.

"Dans ma tradition sorcière, plutôt que d'imposer notre volonté au Divin, nous nous ouvrons à lui afin de bénéficier de sa présence et de ses bénédictions. La pratique magique de l'"Unnaming" (ndt : le fait de retirer son nom à quelque chose) - que j'ai emprunté à l'éco-psychologue et éducateur à l'environnement Michael Cohen - nous aide dans ce processus.

Il existe une vieille croyance selon laquelle si l'on est capable de nommer quelque chose, on a pouvoir sur celle-ci. Il suffit de penser à Adam, à qui fut accordé la domination du monde vivant à travers le pouvoir de donner un nom aux oiseaux et aux animaux. Ou à la magie cérémonielle, qui dit que si l'on connaît le nom d'un démon, il est possible de l'exorciser et de le bannir [...] Le fait de nommer donne le contrôle sur ce qu'on nomme.

Mais les sorcières rejettent la magie en tant que moyen de contrôle sur quelqu'un ou quelque chose, puisque cela entre en contradiction avec le principe spirituel de divinité immanente. Et les "étiquettes", que nous collons pour organiser le monde à notre façon, sont une manière de nous distancier de ce que nous "étiquetons". Nous voyons une rivière et c'est seulement une "rivière", quelque chose que nous pouvons polluer ou rediriger ou utiliser pour le transport, ou en guise d'eau potable, ou n'importe quoi d'autre. Lorsque nous "étiquetons", nous créons une illusion de compréhension et de contrôle.

Procéder à l'"Unnaming" nous permet de découvrir la véritable identité de ce avec quoi nous entrons en interaction, qu'il s'agisse d'un aspect de la Nature, d'une autre personne, ou même d'une part de nous-même. Cela met également au rebut la vieille définition du pouvoir en tant que prise de contrôle sur quelqu'un ou quelque chose.

Pratique avancée  - L'"Unnaming", ou laisser la Nature nous apprendre

Comment fonctionne l'"Unnaming" ? En soulevant l'étiquette et en découvrant ce qui se cache en-dessous. Lorsqu'on appelle quelque chose "arbre", on s'en distancie en adoptant une attitude dominante : "oh, mais je sais ce qu'est un arbre." Mais le sait-on vraiment ?

Sortez. Munissez-vous d'une feuille et d'un papier. Asseyez-vous face à un arbre, une fleur, un rocher, un lac, un courant - quelque chose qui vous interpelle et accepte de travailler avec vous.

A présent, vous allez décoller l'étiquette qui cache sa réalité. Par exemple, imaginons que vous travaillez avec un "arbre". Décrivez ce qu'est l'"arbre", sans utiliser ce mot, mais aussi sans utiliser les termes "branche", "feuille", "racine", "forêt" - ou toute autre étiquette. Pour pouvoir le décrire, vous devez demander à l'"arbre" de se montrer à vous, de vous expliquer ce qu'il est. Vous devez être extrêmement attentif.

Ecrivez les choses que vous observez à propos de ce mystère sans nom, comme par exemple "c'est un refuge pour les oiseaux et les écureuils. C'est un être vivant qui crée de l'oxygène et utilise du dioxide de carbone. C'est un être qui est fort, mais qui plie dans la tempête," etc. 

Quand vous avez terminé, remerciez ce avec quoi vous avez travaillé - l'arbre, la fleur, le courant, pour vous avoir appris des choses à son sujet.

Grand naturaliste américain, John Muir fait la remarque suivante : "chaque élément de la nature et un élément conducteur du Divin". La prochaine fois que vous partez en promenade, répétez vous silencieusement cette manière sage d'appréhender le monde. Et lorsque un arbre, une plante, un animal ou une roche attire votre attention, arrêtez vous. Retirez-lui son étiquette - découvrez la véritable nature de ce que vous regardez, et entrez en interaction.

L'"Unnaming" permet de discerner l'énergie dans tous les aspects du monde naturel ; lorsqu'un arbre est décrit comme producteur d'oxygène, vous avez la possibilité de faire l'expérience et d'apprécier les poumons de la Terre. A travers cette pratique, vous pouvez commencer à voir l'interdépendance de toutes formes de Vie. C'est en prenant conscience de ces interconnexions que vous pouvez pratiquer la magie, mais aussi découvrir votre véritable nature.

La Nature vous montre également que le Divin n'est pas seulement masculin ou féminin, mais aussi au-delà des genres. L'herbe, l'air, l'eau, les roches, ne sont ni mâles, ni femelles ; mais tous sont sacrés. C'est une leçon importante, car beaucoup de sorcières se limite à penser le Divin en terme de Déesse ou de Dieu, et se mettent ainsi des limites inutiles à leur expérience du Sacré.

Nous pouvons en toute occasion trouver une source d'inspiration divine dans la Nature, même s'il s'agit juste d'un pissenlit qui pousse sur un coin de trottoir défoncé. En fait, cette fleur à elle seule peut être plus porteuse d'espoir que la vision du Grand Canyon. Vous pouvez faire la rencontre la plus bouleversante avec la divinité de la Nature au coeur même de l'agitation urbaine ; puisqu'à présent, vous êtes capable de percevoir cette petite fleur d'une manière nouvelle et particulièrement puissante.

Laissez la Nature être votre professeur, et vous découvrirez de la magie divine, vous apprendrez d'importantes leçons sur la manière dont nous devons vivre ; tout, dans la Nature, vit ensemble, dans un système d'interrelations basé sur l'affinité, la diversité, la dépendance mutuelle, et l'équilibre. Un environnement sain est composé d'une communauté variée (par exemple, pas seulement constituée de pins, ou des chipmunks (ndt : sorte d'écureuils d'Amérique du Nord)) dont les membres sont liés dans une ronde harmonieuse faite d'attraction, de soutien mutuel et de préservation de la Vie. 

La Nature est révélatrice de la perfection de l'ordre divin. En vivant en harmonie avec la Nature, nous avons la possibilité de vivre en harmonie avec le Divin. Nous nous ouvrons également à une existence magique : nous voyons le monde différemment - comme l'incarnation (ndt : le corps) du Sacré - puisque, peut-être pour la première fois, nous voyons le monde tel qu'il est. [...]"

Witchcrafting - Phyllis Curott
Traduction personnelle