23 septembre 2013

Hermès Khtonios et Hékate Khthonia

Traduction et adaptation personnelles.

Le retour de Perséphone

Hermès est, peut-être, un des dieux les plus sous-estimés. Il est un Olympien, et respecté en tant que tel ; mais ça n'est pas tout ce qu'il est. Il a une autre tâche, bien plus importante que son rôle de simple messager qu'on croise dans les mythes ; il s'agit du rôle de guide des morts vers leur destination finale. Il les conduit de leurs corps vers les Enfers, où ils seront amenés dans le sinistre royaume d'Hadès par la barque de Charon. Dans ce rôle, il n'est plus seulement un dieu de la terre et des cieux, mais aussi de sous la terre : un dieu chthonien. Il devient Hermès Diaktoros ou Pompaios - le guide - et Hermès Kataibatês, celui qui descend.

Quand Perséphone fut enlevée par Hadès, c'est Hermès qui, à la demande de Zeus, se rendit aux Enfers afin de la rechercher. Ce n'était pas Zeus lui-même, ou un autre dieu, olympien ou non. C'était lui : le messager des dieux, à la fois sur terre et sous la terre. Bien que Perséphone ne l'accompagna pas vers la surface, ce sera lui plus tard qui retournera la chercher ou la ramènera en Hadès tous les six mois.

C'est peut-être dans ce rôle, guide plutôt que messager, qu'Hermès Khthonios devint si lié à Hékate. Elle, protectrice de Perséphone. Lui, guide de Perséphone. Pausanias et Propertius font allusion à Hermès Khthonios ayant des enfants avec des nymphes et des divinités des Enfers : Daeira et Brimo. Daeira, mère d'Eleusis, fut identifiée à Hékate à travers leurs connexions communes aux Mystères Eleusiniens ; et Brimo, une déesse des Enfers, fut identifiée à Daeira et à Hékate. Le nom "Brimo" - celle en colère, la terrifiante - est fréquemment considéré comme un épithète d'Hékate - faisant dès lors d'Hékate la consort de Hermès Khthonios ; et si on tient compte des connexions Hékate-Daeira et Daeira-Brimo, elle est également la mère d'Eleusis, dont Hermès est le père.

De plus, Hermès Khthonios et Hékate n'avaient pas que Perséphone en commun. Tous deux étaient également guides des morts : Hermès Khthonios dirigeait les âmes jusqu'à l'embouchure des Enfers, et Hékate les ramenaient sur terre sous forme de fantômes. Peut-être, alors, pouvait-on considérer qu'ils avaient une relation dualiste, étant à la fois antagonistes et compagnons ; là où Hermès Khthonios limitait l'influence des morts, Hékate Khthonia les libérait.

Hermès et Hékate partagent encore un autre aspect. Un des deux animaux sacrés d'Hékate est le chien, particulièrement les chiens des Enfers (the kunes khthonioi), à cause de la transformation de la Reine Hécube en une chienne noire. D'après Apollonius Rhodius, Lycophron Ovide et Virgile, pour citer quelques auteurs, l'arrivée d'Hékate sur terre depuis les Enfers était annoncée par les aboiements des chiens dans la nuit. Hermès a lui aussi une connexion aux chiens, en tant que dieu de l'élevage et des chiens de garde. Ainsi, on peut resserrer le lien encore davantage : l'arrivée de la déesse incite les chiens à aboyer, ces créatures sur lesquelles le dieu a un pouvoir ; peut-être un avertissement à ceux qui voudraient s'aventurer sur le chemin de la déesse (et ainsi se retrouver loin de la protection qu'Hermès assure aux voyageurs comme au foyer).

Bien que des expériences personnelles ou des sources alternatives puissent contredire toute relation à caractère sexuel entre Hermès Khthonios et Hékate, on ne peut nier qu'il existe une relation. Ils sont les opposés, les compagnons parfaits, l'équilibre idéal : Olympien-chthonien et chthonien-Titan ; lumière-ombre et ombre-lumière ; ciel-terre et terre-ciel ; féminin-masculin et masculin-féminin.

Hermès Khthonios ne pourrait exister sans Hékate Kthonia, et vice-versa. Ils ont besoin l'un de l'autre : le monde souterrain, le monde des mortels et le Mont Olympe, ont tous besoin d'équilibre pour exister et fleurir, et Hermès et Hékate pourvoient ces différents mondes avec la balance nécessaire. Ils sont des dieux avec un pied dans chaque monde, reliant l'un à l'autre tout en les séparant. Divinités infernales, chthoniennes, maritimes, célestes, qui n'auraient pu exister pleinement sous quelconque autre forme.

17 septembre 2013

Perséphone - Poème par Therese Leigh

Extrait de "Hell and Its Horizons"
Traduction et adaptation personnelles.
Disponible en anglais sur ce site.


L'enlèvement de Perséphone par Rembrandt


I

Sa main a engendré la grâce des champs.
Quand je pense à mon enfance,
Je me souviens d'un éternel printemps -
Une explosion constante de fleurs nouvelles,
Le bruissement que je pensais sans fin d'ailes lumineuses,
La quiétude de pétales dorés s'ammoncelant,
Le doux bourdonnement dans la brume au-dessus de la prairie
Des abeilles plongeant dans le nectar.
Je m'ouvrais à la terre florissante
Libre d'aller et venir parmi les fleurs.
Ma généreuse Mère déposait ses présents devant moi
Comme si elle se déchargeait de pommes mûres
Emplissant son tablier, débordante de fécondité,
Et je goûtais à la richesse de son lait,
Au miel de ses baisers,
Son regard plein d'amour sur mes joues tendres
Tandis que je sautillais parmi l'abondance.
Innocente parmi les vierges
Je pillais le champs ensoleillé,
J'emplissais mon panier jusqu'à ras bord,
Piochant sans fin là où de gaies pâquerettes me faisaient signe,
Sans le moindre soupçon.
Alors sa main m'agrippa,
Au centre d'un ravissant bosquet
M'emportant avec lui dans les profondeurs
Si soudainement que je n'ai pas pensé à me replier
Mon visage plongea
Parmi les pétales
Et je chutai
Saisie dans sa sombre embrassade.
Mes cris
Vers ma Mère et la lumière
Il n'en tint pas compte
Et je voyageais sous sa cape
Vers le Tartare
Où la couleur de mes joues s'estompa,
Laissant place au blanc de la Mort
Sous l'ardeur
De ses baisers répugnants.
Il déchira mon habit
Et dévora tout ce qui était pur.

II

Fiancée de la Nuit.
Reine des Morts.
Le tumulte gris gonfle
Engouffrant mes sens,
Jusqu'à ce que je ne parvienne plus à me souvenir
de la couleur et de la lumière ;
Et j'apprends l'étiquette,
Comment régner parmi les ombres.
Je glisse dans un rêve de nepenthe.
Pourquoi ce mal-être intrigue-t-il les hommes -
Mon infortune, ma prison,
Robe noire humide de liquides innommables,


Peau qui sent
Comme le chagrin,
Yeux tels des feuilles mortes,
Secs, secs,
Sans plus la moindre larme à pleurer.
Je deviens froide -
Les voici, les hommes,
Qui veulent me faire sortir
Des entrailles de l'Enfer -
Thésée,Pirithoüs.
Ils veulent baiser
La Reine des Morts.

III

Les grains de grenade...
J'en ai mangés - seulement six -
Et voici qu'ils me lient à mon triste destin
Les Dieux m'ont blâmé pour ma faim
Et désormais, je réside ici la moitié de l'année.

IV

Les célébrants attendent
Le retour de la jeune fille,
Et je suis extirpée de la nuit et du chaos,
Etendue soudain parmi les douces
Marguerites de ma jeunesse.
Les mains blanches des vierges
me relèvent,
me baignent dans la source,
Elles pincent mes joues -
Offrant des roses à ma pâleur,
Et je suis propre à nouveau,
Virginité restaurée.
J'essaye de sourire
En approchant les célébrants.
Ma mère se réjouit,
Accélère son pas.
J'avance doucement
Et vois dans son visage
Comment elle a fait renaître le monde
pour moi.
Ils n'ont pas l'air de savoir
Que je prétends être vivante.
Nul ne s'inquiète
Si le rite est un simulacre -
Il doit être parfaitement conduit
Et en temps mesuré.
Prêtresse et hiérophante
attendent patiemment
leur union impie.
Ornée de guirlandes, je danse dans l'allégresse des jours saints
Un automate,
Une poupée de chiffon,
Pion des Dieux
Ne savent-il pas que mon coeur noir
N'a pas changé de couleur ?
Je suis la Reine des Morts
Ma peau flotte dans la lumière du jour
Comme un drapeau défraîchi
Attendant d'être porté
Vers son véritable pays.

12 septembre 2013

Perséphone - Fragments 1


J'aime les posts que Sannion consacre à "ses" Dieux, et qu'il compose uniquement d'images, de musiques, de courtes citations. Ils me remuent et m'apprennent souvent bien plus que de longs discours, revenant me hanter dans mes rêves ou dans la routine du quotidien. Ici, à la manière de l'habitant de la Maison des Vignes, j'ai rassemblé pour la première fois quelques visions et airs glanés au fil des ans, qui m'évoquent Perséphone en route vers les Enfers. J'espère qu'ils vous inspireront à l'approche de l'équinoxe.

*










Crédits :
Collage par Thomas Schostock
Paroles et musique par Bat For Lashes
Image du film "innocence" par Lucile Hadzihalilovic
Paroles et musique par Chelsea Wolfe
Photographie par Hans Bellmer
Image par Kath Morgan
Photo de Tori Amos pour l'album "the Choirgirl Hotel"

11 septembre 2013

Ereshkigal et Perséphone

Texte original par Melitta Benu.
Traduction et adaptation personnelles.




Les mythes d'Ereshkigal et Perséphone ont des trames similaires. Mais nombreux sont ceux qui auraient tendance à éluder les similarités de ces divinités en se focalisant sur les apparences. Ainsi, beaucoup de personnes jettent un œil à Perséphone et se disent quelque chose du genre "Oh ! Quelle jolie fille !", s'arrêtant là, négligeant ses qualités plus fortes qui sont pourtant nombreuses. Pour Ereshkigal, les mêmes auront tendance à oublier son côté plus doux, les éléments qui, dans ses mythes, évoquent ses qualités comme sa profonde capacité d'amour, et ceci en faveur de ses traits plus marqués, ceux qui sont violents, comme sa rage ou sa nature exigeante. Pourtant les mythes parlent d'eux-mêmes, pointant des similarités souvent mises de côté.

Meeting Persephone, par Susan Richards Bafa

Le mythe de l'enlèvement de Perséphone nous est familier. En revanche, le mythe relatant l'enlèvement d'Ereshkigal et sa propre descente aux Enfers est une source peu étudiée, offrant pourtant une vision riche de la déesse, ainsi que du motif de l'enlèvement dans le monde souterrain - qui consiste en d'autres termes à être emmenée (violée) vers l'initiation (l'obscurité) par une supposée force autre (Hadès, Kur), symbolisant en réalité la part de nous-mêmes qui a faim de sagesse. A ce point de notre article, je voudrais examiner certains des traits similaires entre les mythes de Perséphone et d'Ereshkigal. A l'origine, Ereshkigal était une déesse céleste, amenée de force vers le monde souterrain par le dragon Kur, dont le nom signifiait "le grand pays", référence dans ce cas au monde d'en-dessous, l'Enfer des Sumériens. Enki, le frère jumeau d'Ereshkigal, souhaitant venger ce crime et ramener sa soeur, s'attaqua à Kur. Enki et Kur luttèrent au cours d'une bataille épique et Enki en sortit victorieux. Mais il était trop tard pour libérer Ereshkigal, qui était déjà montée sur le trône du Monde Souterrain et ne pouvait retourner vers le monde des vivants.

La trame du mythe ressemble de manière frappante à celle de Perséphone : enlèvement, viol et couronnement de force aux Enfers. Les deux déesses proviennent du "monde d'au-dessus", toutes deux sont des jeunes vierges, enlevées de force, et toutes deux deviennent reines des Enfers, amenées sur le trône à cause des machinations du souverain des lieux, Kur/Hadès. Bien plus que ça : le thème de la mort et de la résurrection, le voyage de l'âme à travers l'initiation et la mort physique, tout ceci est montré dans les deux mythes. Perséphone elle-même a longtemps été considérée comme un symbole du voyage de l'âme à travers la mort et la résurrection, ainsi que comme une allégorie du chemin initiatique à travers les Mystères. Au travers de sa fascination pour l'objet-fétiche (le narcisse), elle est enlevée et retenue dans l'obscurité, lieu de l'inconnu et de l'identité instable, où elle doit forger son nouveau moi. Ereshkigal fait de même, dans l'obscurité d'Irkalla, dont elle devient une partie intégrante, au point que même Enki, son frère jumeau, ne peut la sauver. Ereshkigal, tout comme Perséphone, devient reine du monde souterrain, avec toutefois une différence - Perséphone, elle, revient. Elle est l'initiée qui retourne à la lumière, Ereshkigal est celle qui prospère dans l'obscurité. Perséphone se "recycle", sa vraie nature restant cachée dans les mythes - elle est voilée. Ereshkigal est celle qu'elle est, non voilée, se montrant de manière éhontée : elle ne fait qu'un avec le Néant d'Irkalla. Les mythes nous le montrent, une différence poignante existe entre ces deux déesses : Perséphone "meurt" en automne pour rejoindre son époux aux Enfers, s'unit à lui tout comme on dit que l'âme s'unit avec les dieux ou les ancêtres (selon les croyances) ; elle retourne dans son royaume des Enfers, et renaîtra au printemps comme la Porteuse de Vie, tout comme l'âme est ressuscitée sous la forme d'une nouvelle vie : les fleurs qui émergent du sol, les créatures nouvellement nées. Ereshkigal, de son côté, incarne les leçons d'Irkalla - une fois qu'on y pénètre, une fois qu'on s'unit au Néant, le Nirvana des Bouddhistes, il n'y a pas de retour possible. 

Deux autres mythes sont assez connus pour être mentionnés ici : le mariage d'Ereshkigal et Nergal (dans ses deux versions) et la Descente d'Inanna.

Ereshkigal, par John Magnet Bell

Dans le mythe de Nergal et Ereshkigal, Nergal est tout d'abord porté à l'attention de la Grande Dame par le rapport de son vizir, Namtar, qui lui dit que Nergal n'avait pas témoigné de respect à son égard, contrairement aux autres Dieux, alors qu'il était reçu parmi eux pour recueillir la portion d'un festin revenant à sa maîtresse. Ereshkigal demande alors que le Dieu irrespectueux soit accueilli comme invité aux Enfers, et l'enjoint d'accepter son hospitalité. Enki, le propre frère d'Ereshkigal, conseille Nergal : il lui dit d'y refuser toute nourriture, lit ou bain, de s'asseoir seulement sur une chaise conçue exclusivement pour lui et amenée d'En-Haut avec lui, et enfin, de ne pas faire "ce que hommes et femmes font". 

Nergal suit les conseils de son oncle et emporte sa chaise aux Enfers où il rencontre Ereshkigal, qui lui propose un véritable festin et l'invite à prendre place sur un de ses sièges. Nergal refuse, s'asseyant sur sa propre chaise et jeunant. Il refuse lit et bain. Plus tard dans la nuit, pourtant, il aperçoit Ereshkigal procédant à ses propres ablutions, et ne peut résister à sa beauté - ils feront l'amour passionnément pendant sept jours et nuits. Le septième jour, Nergal quitte Ereshkigal, qui, comme on peut le comprendre, n'est PAS heureuse de la chose, et exige aussitôt qu'il revienne, comme il l'a promis. Elle rappelle aux Dieux son enfance malheureuse aux Enfers, ces années sacrifiées en ces lieux pour son devoir, son absence totale de plainte pendant tout ce temps-là, et leur dit que s'ils ne lui renvoient pas "Erra", elle ouvrira les portes d'Irkalla et libérera tous les morts sur la terre, où ils dévoreront tous les vivants. Pendant ce temps, Nergal se cache dans les cieux, et Namtar, malgré ses recherches, ne parvient pas à le trouver. A ce point du récit, certains éléments ne sont pas parvenus jusqu'à nous ; quoiqu'il en soit, nous savons que finalement Nergal retrouve ses esprits, et défonce les portes d'Irkalla afin de rejoindre les bras d'Ereshkigal, qu'il ne quittera désormais plus jamais.

Il faut être familier des mythes orphiques pour établir un parallèle avec Perséphone ici. Dans ces derniers (d'après les Dionysica), Perséphone la jeune vierge est poursuivie par tous les célibataires de l'Olympe... Ce qui n'enthousiasme pas vraiment Déméter. En consultant un oracle, elle apprend que Perséphone portera l'enfant d'un ravisseur avant d'être mariée. Elle décide alors de mettre sa fille à l'abri et la cache dans une grotte, loin de tous les regards admirateurs, en particulier de celui de son père, Zeus. Néanmoins, Zeus parvient à rejoindre Perséphone en s'introduisant dans la grotte où ils conçoivent le dieu Zagreus.

Même si en apparence les mythes sont différents, leurs thématiques ne le sont pas. Séduction, conception et amour furtif entourent ces deux récits qui terminent pourtant avec des résultats très différents. Nergal est un dieu de la guerre, de la pestilence et du soleil, et son alliance avec Ereshkigal, et par conséquent Irkalla, paraît logique et même inévitable diront certains. Zeus est le dieu de la pluie et du ciel, un dieu fertilisant, et Perséphone, même après sa descente (qui n'a pas encore eu lieu dans ce mythe), est une déesse de la nature et de la nouvelle vie (le printemps). Même ici, sa captivité la rapproche des graines qui sont stockées ou "endormies" sous terre pendant l'hiver. De l'union entre la pluie et la terre naît Zagreus, le proto-Dionysos, l'esprit de la vie éternelle, de la vie en expansion

 Ereshkigal, dans son mythe, désire être fertilisée par Nergal, et le pleure lorsqu'il la quitte - ce qui peut être interprété comme la terre fertilisée par les rayons du soleil, et demeurant inerte lorsque le soleil ne peut la réchauffer. La guerre crée la mort comme le soleil nourrit la vie - la symbolique du mythe est double, et Ereshkigal est doublement complétée par Nergal ; son propre aspect fertile est activé par l'amour physique et émotionnel que Nergal lui apporte dans cette terre d'ordinaire totalement désolée. De nombreux dévots d'Ereshkigal le confirmeront : l'amour que ressent Ereshkigal pour son époux est sans fonds. Le thème de la séduction complète l'analyse des deux mythes : Zeus aime Perséphone, mais leur relation demeure éphémère, et elle épouse le Dieu des Enfers, Hadès. La pluie n'est pas un amant constant, contrairement au soleil, qui, même s'il se couche, illumine toujours la terre quelque part, continuant de la fertiliser.

Le plus célèbre des mythes reste celui de la descente d'Inanna aux Enfers, dans lequel elle rencontre sa sœur Ereshkigal qui la tue et fait pendre son cadavre à un crochet. Ce n'est que lorsque les Dieux envoient trois créatures faites de terre pour rechercher Inanna, alors que le monde est en train de mourir sans la déesse qui apporte amour et vie, qu'Ereshkigal libère Inanna, qui remonte, transformée, vers le Monde d'Au-Dessus. Perséphone et Psyché partage un lien similaire, bien que plus anodin. Dans le mythe d'Eros et Psyché, Aphrodite, en guise d'épreuve, décide d'envoyer la prétendante du Dieu de l'Amour aux Enfers, afin qu'elle lui rapporte dans une boîte un peu de la beauté de Perséphone, sa propre beauté étant ternie par les nuits passées à veiller son fils malade. Psyché se rend aux Enfers, et comme Nergal, refuse l'hospitalité et les mets préparés à son intention. La seule chose qu'elle accepte est la boîte renfermant la beauté de Perséphone, avec laquelle elle quitte le Monde d'En-Dessous. Pensant qu'elle-même gagnerait à se poudrer légèrement les joues avec le contenu de cette boîte, elle l'ouvre, et il en sort aussitôt un "sommeil stygien", semblable à la mort, qui s'empare d'elle (mais pas d'inquiétude, Eros la sauve).

Ce lien entre Ereshkigal et Inanna, Perséphone et Psyché, c'est celui qui relie l'âme et l'Âme. Ereshkigal et Perséphone ont toutes les deux empruntées le chemin de l'âme de la vie vers la mort, et chacune à leur manière, vers la renaissance. Dans leurs royaumes respectifs, elles incarnent l'Idée de l'Âme. Inanna et Psyché sont les âmes qui, comme le shaman, recherchent les trésors cachés dans l'obscurité du Monde d'En-Dessous, et entrent en contact avec le Néant, la destination finale de toutes les âmes. Chacune revient riche d'une leçon similaire à celle de l'autre. Psyché apprend que le prix de la renaissance sera toujours la mort - l'âme rejoint le Monde d'En-Dessous, trouve ce qu'elle y cherche et revient à la vie, enrichie toutefois de la conscience qu'elle porte la mort en elle et qu'il ne sera qu'une question de temps avant celle-ci ne la réclame pour de bon (heureusement pour Psyché, Eros/l'Amour la rend immortelle). Pour Inanna, déesse qui décide de jouer le rôle de shaman, les règles sont différentes ; et pourtant, elle est elle aussi touchée par la mort. Elle reçoit certaines des qualités de sa sœur, Ereshkigal, et en fait usage lorsqu'elle rencontre son amant Dumuzi, "l'étreignant avec l'Oeil de la Mort", comme Ereshkigal le fit pour elle-même lorsqu'elle se tint devant elle. Inanna porte donc aussi la mort avec elle, mais différemment ; elle choisit quelqu'un qui occupera sa place aux Enfers - ironiquement, un homme qui lui a manqué de respect tout comme Nergal a pu manquer de respect à Ereshkigal, à l'origine. Le prix de la résurrection est une autre mort. Psyché et Inanna recherchent Perséphone et Ereshkigal pour apprendre leurs secrets, pour en faire l'expérience, et pour elles-mêmes en faire usage.