30 décembre 2014

[Verhaxt !] La petite année

Entre Noël et l'Epiphanie, en Alsace, s'écoule un temps qu'on désigne comme "les 12 jours", ou "12 nuits", ou encore "la petite année" (s'kleine Johr). Dans les milieux néo-païens, les pratiquants nordisants ou les personnes s'intéressant au paganisme d'origine germano-scandinave seront certainement déjà familiers des douze jours de Yule ; il semble assez évident que les traditions que je vais évoquer y sont rattachées, même si elles ont prospéré dans une Alsace christianisée depuis bien longtemps.

Du beau monde en balade

Pendant ces douze jours, on craignait plus que jamais la Horde Sauvage, ou Armée Sauvage (Wüetig Heer, Wüetis Heer, Wildi Heer, Wildi Jagd), qui se montrait particulièrement agitée et menaçante pour le monde des humains à ce moment-là de l'année. Menée par celui qu'on appelait "Huperi" (Hubert, comme le saint patron des chasseurs), elle était constituée d'âmes damnées, de guerriers morts sur le champ de bataille, de chevaux et de chiens qu'on entendait hurler de loin. Portés par le vent, Le bruit du cor et le "hudada !" sonore de son meneur terrifiaient petits et grands. Malheur à ceux qui se trouvaient sur leur chemin ! Pour l'anecdote, le Père Huperi était du genre tata Yoyo : toujours coiffé d'un grand chapeau, d'une lourde cape sombre, mais avec surtout un oeil en moins. Toute ressemblance toussa toussa :)

D'après un de mes recueils de légendes locales, l'habitude de préparer des petits gâteaux en forme d'animaux ou encore au miel (les fameux Bredele) serait née - au moins en partie - du désir d'apaiser cette Chasse Sauvage. Les gâteaux prenaient la forme des esprits sauvages que les hommes voulaient se concilier, et servaient d'offrandes appréciées par la horde. Le miel, symbole solaire, panacée pour l'homme du passé, avait une fonction de protection contre la maladie, mais évoquait également l'espoir dans le retour du soleil. Honnêtement, je n'ai pas trouvé jusqu'ici d'autres références à ce sujet, mais j'avoue que cela m'inspire beaucoup, et ce que je constate, c'est que les Bredele maison sont TRES appréciés en offrande !

Toi aussi, viens faire du cheval

 Du beau monde, mais aussi des tabous

A côté de cela, on évoque souvent la visite de Berchta pendant ces 12 jours, afin de vérifier si les foyers sont bien tenus, et surtout si certains tabous sont respectés ; il était en effet formellement interdit de procéder à des travaux de couture, broderie, filage (un jour, je me fendrai d'un article sur la Grande Fileuse pour approfondir tout ça)... Et même, à certains endroits, de laver le linge pendant ces douze jours. Ce dernier tabou m'évoque étrangement les récits des Lavandières du Gué qu'on retrouve en Bretagne (Washer at the Ford en terre anglo-saxonne, Salige Frauen en terre germanique) ; j'ose intuiter qu'il était certainement considéré comme de mauvais augure de laver le linge de la famille à ce moment de l'année, puisque, selon la légende, lorsque la Lavandière se met au travail, elle lave le linge de celui qui va mourir...

Il était également vu d'un mauvais œil de consommer des légumes secs pendant ces douze jours. J'ai pu lire qu'on les accusait de provoquer des maladies de peau, des ulcères... Mais je me demande  personnellement s'il ne s'agit pas plutôt d'une superstition liée aux fantômes et aux morts une fois encore (c'est Books of Dante qui m'a mis cette idée en tête grâce à ce superbe article) ; les haricots sont fréquemment liés à la mort dans les superstitions... A côté de cela, les lentilles sont aussi symbole de richesse et utilisées en magie populaire comme telles, peut-être que se gaver de légumes secs avant le 6 janvier risquait d'attirer la pauvreté sur le foyer... ? Les pistes de réflexion sont nombreuses !

Un temps de divination

Dès la nuit de Noël, on était attentif à divers signes qui annonçaient l'année à venir :

* Traditionnellement, au moment de la Sainte-Barbe (le 4 décembre), on cueillait une branche d'arbre fruitier (cerisier notamment) qu'on plaçait dans l'eau ; si la branche venait à fleurir au moment de Noël, cela annonçait abondance et bonheur pour l'année à venir. Pour ma part, avant d'en trouver mention dans divers ouvrages, j'ai découvert cette tradition en Alsace du Nord il y a quelques années, où elle est encore pratiquée.
* La météo durant les douze jours était abondamment commentée : si le temps était pluvieux, on annonçait de mauvaises récoltes pour l'année à venir.
* Chaque jour de la petite année correspondait à un mois de l'année à venir : ce qui se passait alors durant chaque journée pouvait annoncer ce qui se passerait au cours du mois correspondant.
* On utilisait des oignons pour prédire les tendances météorologiques de l'année : 12 oignons pelés, ou 12 pelures selon ce qui est rapporté, étaient placés sur une planche en bois ; on les couvraient de sel et on observait : si le sel fondait sur les pelures, ou selon la quantité d'eau rendu par l'oignon, on pouvait savoir si tel mois de l'année allait être pluvieux.
* Les jeunes filles qui cherchaient un époux couvraient également un oignon de sel, dans l'espoir de voir apparaître le visage de leur futur bien-aimé sur le bulbe.
* La nuit de Nouvel An, dans une partie du sud de l'Alsace, on préparait des brioches dont chacune représentait un membre de la famille. Si la brioche éclatait à la cuisson,cela pouvait annoncer la mort ou la maladie pour la personne représentée.
* La première personne rencontrée le 1er janvier permet aussi de prédire l'avenir ; si une femme rencontre l'homme qu'elle aime, l'année sera fertile ; si c'est une femme, elle aura un enfant.
* A la fin des 12 jours, au moment de l’Épiphanie, on pratiquait également la divination par le plomb fondu pour en savoir plus sur l'année à venir. Cette tradition était également courante la nuit de la Saint-André, le 30 novembre, c'est-à-dire au tout début de l'Avent.


Sources :
La tradition alsacienne, tomes 3, 4 et 5, par Raymond Matzen, Richard Schneider, Lucien Sittler et A.M. Burg
Traditions médicinales et remèdes populaires du Sundgau, Jean Martin Meyer
Transmission orale

Et pour en savoir plus sur le Noël alsacien, on rend visite à Breven ! :)

16 décembre 2014

[Verhaxt !] Sel de protection à la violette


Jean Martin Meyer, dans son recueil de “traditions médicinales et remèdes populaires du Sundgau”, évoque la bénédiction du sel par le prêtre le jour de la Trinité. Ce sel serait ensuite utilisé à titre préventif ou curatif dans de nombreuses affections, et notamment pour contrer les attaques de démons et de sorciers.

Le jour de la Trinité est une fête catholique célébré le dimanche suivant la Pentecôte, soit huit semaines après Pâques (ce qui nous amène à fin-mai ou début-juin), et qui “a pour but de rendre un culte solennel à Dieu en exaltant sa nature divine unique mais distincte en ses trois personnes (le Père, le Fils et le Saint-Esprit).” [merci Wiki !].

Je ne suis pas de culture catholique et encore moins pratiquante de cette religion, mais la préparation de ce sel m’intrigue car Meyer indique qu’il est béni dans un récipient recouvert de violettes, fleurs dont un des noms populaires est “herbe de la Trinité”, en alsacien “Dreifaltigkeit Blueme”. Je n’arrive pas pour le moment à trouver pourquoi la violette est ainsi nommée. Mais je trouve intéressant de me pencher sur ses vertus magiques qui pourront  certainement être utiles à ceux qui passeront par là !

Pour moi, la violette, bien que d’apparence modeste et douce, est une fleur à forte identité vénusienne, parfaite pour attirer l’amour avec son odeur enivrante, sa couleur délicate et ses pétales en forme de cœurs. Scott Cunningham conseille d’ailleurs de la mélanger à la lavande pour stimuler l’amour et la sexualité. Ailleurs (?), j’ai lu que c’est une fleur à porter sur soi pour se remettre d’une rupture amoureuse et/ou pour rencontrer sa moitié.

Néanmoins, ses nombreuses vertus thérapeutiques en font aussi (voire surtout) par association une importante herbe de guérison et de protection. Cunningham mentionne sa capacité à protéger du “mauvais oeil”. Elle protège les blessures (physiques mais aussi mentales, émotionnelles, comme dans le cas de la rupture mentionnée plus haut) et les aide à guérir. Comme d’autres fleurs de couleur violette (je pense notamment à la lavande ou à l’hysope mais il y en a sans doute d’autres), je trouve qu’elle apporte la paix, la sérénité, et une forme de “pureté”, d’innocence qui la caractérise tout particulièrement. Elle allège l’esprit et le cœur et pour cela me semble bien indiquée pour des travaux de purification et de protection du foyer (habitants et lieu). Pas nécessairement pour un “gros décrassage” mais plutôt bien indiquée pour apporter une atmosphère “cosy” et une sensation de douceur au quotidien. A tester.

Toujours est-il que je ne sais pas si cette tradition d’allier sel et violettes est propre à l’église catholique, ou héritée de pratiques traditionnelles relevant d’avantage du folklore local ou de la magie populaire. Mais en attendant d’en savoir plus, rien ne nous empêche d’aller cueillir la violette au printemps prochain et de faire usage de ses qualités protectrices et guérisseuses qui ne sont visiblement pas à prouver.

15 décembre 2014

[Verhaxt !] Le temps des Veillées

Ecrit le 21 octobre 2014.


Le 21 octobre, on fête la Sainte Ursule sur le calendrier. Ursule fait partie de ces saintes chrétiennes qui m’inspirent. Son nom, qui signifie “petite ourse”, me la rend particulièrement sympathique. Y aurait-il un lien avec une déesse ourse, ou liée à l’ours, plus ancienne ? Je n’en sais rien, n’ayant trouvé aucune source fiable à ce sujet, mais pourquoi pas :-) D’autres pistes païennes ont en revanche été explorées, j’en parlerai plus loin.

 Sainte Ursule et ses compagnes dans une nef, Musée de l’Oeuvre Notre-Dame, Strasbourg

Qui est Ursule ? Princesse chrétienne d’origine bretonne, on dit qu’elle fut martyrisée, en compagnie d’autres vierges, par les Huns, pour avoir refusé d’épouser un de leurs chefs. Ses compagnes étaient au nombre de 10 dans certains récits, et jusqu’à 11 000 dans d’autres ! D’après mes recherches, c’est une sainte importante dans tout le bassin rhénan, dans le nord de la France et aux Pays-Bas ; elle est notamment la patronne de Cologne, en Allemagne. On la représente vêtue d’un manteau miraculeux qui aurait la capacité de protéger de tout mal. Elle est aussi souvent accompagnée de flèche(s) et d’un bateau, parfois de lampes ou de torches.

En me tâtant pour écrire à son sujet, fouillant deci-delà, j’ai aussi découvert qu’elle était patronne des instituteurs, ce qui m’a tout naturellement fait sourire puisque instit’, c’est mon métier “moldu”, et que j’ai pas mal réfléchi récemment à son lien avec mon travail spirituel. Bref, merci les synchronicités ! Elle est aussi la protectrice des jeunes filles et la patronne des drapiers.

Oskar Schade, élève de Jakob Grimm, s’est penché sur Ursule dans son écrit “Die Sage von der heiligen Ursula und den elftausend Jungfrauen. Ein Beitrag zur Sagenforschung” ; il soupçonne l’existence d’un lien entre Ursule et certaines divinités du panthéon germanique ancien. Son voyage en bateau la rapprocherait de Nehalennia ; mais Schade penche aussi pour une parenté avec Berchta (ou Holda). En effet, Ursule est patronne des drapiers, et donc reliée aux travaux du fil – au passage, drapiers rhénans qui, au Moyen-Âge, travaillent essentiellement à la réalisation de voiles pour la marine… Donnant ainsi sens aux deux rapprochements.

Un de mes ouvrages sur le folklore alsacien cite un proverbe qui vient apporter un peu d’eau au moulin …

"Im Weinmonat... Ursulsspindel"
[Au mois des vendanges… Quenouille d’Ursule]

La Sainte-Ursule aurait, d’après ce même ouvrage, marqué traditionnellement l’entrée, au moment des dernières récoltes, dans le temps des veillées. Pour les femmes, il s’agissait alors de se consacrer essentiellement aux travaux du fil, comme le souligne la mention de la quenouille d’Ursule… Rappelant effectivement la personnalité de Berchta/Holda (selon les lieux), voire même de Frigg, qu’on retrouve sous le nom de Frija dans certaines légendes locales.

Mon esprit s’emballe, il y aurait beaucoup à dire sur ces veillées et sur le travail du fil, quelques légendes de sorcières et de fées à raconter et bien des liens à tisser avec des divinités et des coutumes plus anciennes… Mais je garde ça au chaud pour de prochains articles qui verront le jour pendant la période sombre. En attendant, je m’en vais servir un petit verre à Berchta, allumer une bougie à Ursule, et ressortir mon matériel à broder pour entrer, moi aussi, dans le temps des veillées :-)

14 décembre 2014

[Verhaxt !] Fumigations traditionnelles pour se purifier et se protéger

Ca faisait longtemps, non ? Pour la peine, j'inaugure une nouvelle section sur ce blog, consacrée à mes explorations des pratiques traditionnelles, du folklore populaire ou plus spécifiquement sorcier et des hauts-lieux d'énergie d'Alsace (et j'y glisserai peut-être même ma recette de spätzle si vous êtes sages). Yaura de l'histoire, mais aussi de l'UPG, cela va sans dire.
Je voulais créer un blog entier sur la question, mais force est de constater que je manque de temps - et puis tout avoir à un seul endroit, c'est bien pratique en fin de compte. Alors voilà, "Verhaxt !", un mot qui signifie "ensorcelé" en dialecte, et que ma grand-mère, cette sainte femme, grommelle entre ses dents à chaque fois qu'elle égare ses lunettes ou sa télécommande. Installez-vous près du feu et ouvrez grand vos oreilles :)


J’ai trouvé mention de fumigations dans l’ouvrage “traditions médicinales et remèdes populaires du Sundgau”, de Jean Martin Meyer. C’est une de mes techniques de purification favorite et trouver de nouvelles recettes à expérimenter, avec des ressources locales, ne peut que me réjouir.

L’auteur évoque tout d’abord l’utilisation des bouquets de buis bénis au moment de la messe des Rameaux. Ceux-ci, accrochés dans ou devant la maison, sont reconnus pour leurs vertus protectrices contre les mauvais sorts, la maladie, la foudre et l’incendie (j’approfondirai la question des bouquets de Rameaux dans un article plus tard, ce sera aussi l’occasion de m’étendre sur le buis que j’utilise pour la protection justement). Plus en lien avec notre sujet, on conseille de les brûler pour protéger le foyer en cas de grêle ou d’orage ; la fumée de ces bouquets est également réputée guérir les enfants ayant des problèmes oculaires et protéger les mères des mauvais sorts et des maladies. Les rameaux de l’année passée sont aussi brûlés, tout simplement, pour faire place neuve et pour être remplacés par de nouveau bouquets.

Plus loin, Meyer mentionne trois plantes que l’on brûle traditionnellement pour protéger et purifier et qui seront certainement loin d’ être inconnues aux praticiens de “magie verte” : genévrier, millepertuis, houx. Si le genévrier et le millepertuis font partie des “classiques” que j’affectionne, j’ai fait la connaissance du houx cet été, en travaillant sur l’ogham qui lui est lié. Je ne l’ai pas encore utilisé en fumigation mais cette trouvaille m’ouvre de nouveaux champs d’expérimentation.